Compte-rendu de l’audience du 17 octobre 2025, Jour 23
L’accusé Sosthène Munyemana a été entendu toute la matinée par les différentes parties présentes.
L’interrogatoire de l’accusé par la défense s’est focalisé sur les rondes qui génèrent beaucoup d’interrogations concernant leurs fonctionnements, leurs organisations et les volontés de chacun lors de ces rassemblements ponctuels.
Sosthène MUNYEMANA explique alors qu’elles ont commencé le 17 avril 1994 mais nie savoir quelconque organisation mise en place à ce moment. Il confirme cependant que les personnes de son groupe étaient bien intentionnées, désarmées, mais que la simple présence d’un groupe faisait fuir les Interahamwe. “Il n’y a jamais eu d’incidents, notre arme était psychologique face aux jeunes miliciens” clame-t-il avec fierté. Il préfère par ailleurs, comme M. SIBOMANA, parler de veillées plutôt que de rondes, bien que le but était de faire pression sur les groupes violents. La défense a alors insisté sur le fait que certains témoins affirment que le groupe de MUNYEMANA était le moins violent. L’une de ses voisines, Marie NYARAROMBA, aurait énoncé le fait que MUNYEMANA était le leader d’un groupe, mais qu’elle n’aurait jamais entendu parler de morts venant de son groupe. Le témoignage de Tarcis NGAKURE a appuyé cela, qui a fait le distinguo entre rondes protectrices et celles de MUNYEMANA.
Par la suite, la défense a souhaité en apprendre un peu plus sur le nombre de réfugiés qui avaient séjournés chez MUNYEMANA lors du génocide. Il a expliqué qu’il avait sa maison principale et 4 bâtiments secondaires sur son terrain qui étaient loués par une majorité de Hutu. Aucun des locataires n’aurait été jugé pour crime de génocide au Rwanda. Onesphore KAMANZI? aurait été chez MUNYEMANA pendant une durée d’un mois avant de partir à la mi-mai. Puis Marie Goretti serait restée 1 semaine. Bellencide et sa famille auraient fui Kigali avant d’arriver chez les locataires de MUNYEMANAV vers le 15 avril. Le nom de François KABAHANGA est ressorti également. D’avril à juin 1994, MUNYEMANA aurait accueilli entre 15 et 16 enfants et 16 ou 17 adultes.
Lors de son départ pour le Congo, MUNYEMANA aurait déposé sa nounou chez Monsieur Pulgonce, son ancien travailleur sachant qu’elle pourrait mourir parce qu’elle est Tutsi. En précision, il explique être parti le 22 juin 1994 et n’aurait pu prendre part aux manifestations d’arrivée du Cardinal, au début de l’opération Turquoise. Sachant que MUNYEMANA était proche de la France, certaines personnes auraient cru que c’était lui qui avait distribué des drapeaux français et était en tête de la manifestation. Par la suite, MUNYEMANA est revenu sur les accusations qu’il a eu très tôt, dès 1995 par VUNINGOMA, Il décrit cet homme qu’il a connu à Bordeaux lors de ses études. James VUNINGOMA aurait eu des difficultés financières puisqu’il était réfugié mais ils étaient néanmoins amis jusqu’à la conférence de Sacramento où le FPR aurait décidé du plan d’envahissement du Rwanda. M. VUNINGOMA aurait tenté d’enrôler MUNYEMANA en rebelle du FPR, ce qu’il a refusé. Lorsque MUNYEMANA a fait sa conférence à Bordeaux en 1994, il a mis en cause le FPR; moment où M. VUNINGOMA a décidé de porter plainte. Une plainte qui continuerait de la hanter tant les conséquences psychologiques seraient importantes.
La défense a aussi évoqué le nom de Vincent KAKERUKA qui a été confronté à MUNYEMANA précédemment pendant le procès. Il souhaite mettre en évidence la déception face à M. KAGERUKA qui parlait avec la peur selon lui. Il se dit content tout de même de le retrouver puisqu’il aurait échappé à la mort. La cour a remercié Sosthène MUNYEMANA pour ces réponses et a continué avec la lecture des questions.
- Est-il constant que sur le territoire du Rwanda, notamment à Butare, entre mai et juin 1994, qu’un plan concerté en vue de la destruction d’un groupe déterminé, des atteintes à la vie ont été commises à l’encontre d’un groupe ethnique, racial, en l’occurrence le groupe Tutsi ?
- MUNYEMANA est-il responsable d’avoir participé au plan évoqué à la question 1 ?
- MUNYEMANA est-il coupable des actes évoqués à la question 1 ?
- Est-il constant que sur le territoire du Rwanda, notamment à Butare, courant avril 1994 à juin 1994, dans un plan concerté pour la destruction d’un groupe ethnique, racial ou déterminé, des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique ont été effectuées à l’encontre du groupe Tutsi ?
- MUNYEMANA est-il responsable d’avoir participé aux faits énoncés à la question 4 ?
- MUNYEMANA est-il responsable d’avoir fait exécuter le plan évoqué à la question 4 ?
Complicité de crime de génocide:
- MUNYEMANA a-t-il facilité l’action du plan concerté évoqué à la question 1 ?
- MUNYEMANA a-t-il sciemment facilité la consommation de la question 4 ?
Crime contre l’Humanité:
Est-il constant que sur le territoire du Rwanda, notamment à Butare, entre avril 1994 et juin 1994, en exécution d’un plan politique, philosophique, raciaux ou religieux, des actes ayant consisté à de la torture ou actes inhumains, commis à l’encontre du groupe Tutsi ?
- MUNYEMANA est-il responsable d’avoir participé aux actes cités à la question 9 ?
- Est-il coupable d’avoir sciemment facilité les actions de la question 9 ?
- Est-il constant que sur le territoire du Rwanda, notamment à Butare, entre avril 1994 et juin 1994, en exécution d’un plan politique, philosophique, racial ou religieux, des exécutions sommaires ou encore des enlèvements ont été effectués à l’encontre du groupe civil Tutsi ?
- MUNYEMANA est-il coupable, par aide ou assistance, d’avoir participé aux actions évoquées à la question 13 ?
Association de malfaiteurs:
- MUNYEMANAest-il coupable, sur le territoire du Rwanda, de participation à un groupement caractérisé par un ou plusieurs actes définis par l’article 211-1 en l’exécution d’un plan concerté visant l’extermination du groupe Tutsi ?
- MUNYEMANAest-il coupable à Butare, entre avril 1994 et juin 1994, d’avoir participé à un groupement caractérisé par un ou plusieurs actes définis par l’article 212-1, inspirés par des idées politiques, philosophiques, raciales, religieuses, à l’encontre du groupe Tutsi ?
- La cour a terminé de lire les questions et est passée à la lecture de l’audition de KAMANZI Onesphore.
Onesphore KAMANZI est né en 1946 à Nyakizu dans la préfecture de Butare. Marié en 1969 avec Thérèse, une Tutsi. Sa femme a été massacrée pendant le génocide et seuls 2 des 6 enfants ont survécu. Il a été juge de canton jusqu’en 1994 et de part ce statut il ne prenait part aux organisations politiques de l’époque. KAMANZ travaillait avec le frère de MUNYEMANA, Anatole. Il voyait donc régulièrement MUNYEMANA. A partir du 17 ou 18 avril, il voyait les maisons brûler. Il a reçu des menaces et a été délesté de son argent. C’est donc pour cette raison qu’il s’est réfugié chez MUNYEMANA, qui n’a pas posé de questions pour l’héberger, sachant ce qu’il s’est passé à Kigembe. Il sentait à cette époque-là une tension à cause du MRND et du MDR, il ne se sentait pas de sortir de la maison de MUNYEMANA, par crainte. Bien que Sosthène MUNYEMANA sortait, il sentait seulement l’odeur des cadavres et entendait le bruit de la violence à l’extérieur. KAMANZI ne saurait dire la tendance politique de MUNYEMANA.
Après cette lecture du témoignage de Onesphore Kamanzi, la cour a effectué la lecture de la confrontation entre Marie GORETTI et Onesphore Kamanzi. Deux témoignages qui ne coïncident pas sur les dates des évènements et sur la présence chez MUNYEMANA. Les deux protagonistes se connaissaient. KAMANZ estime que Mme. GORETTI ne serait resté que quelques jours chez MUNYEMANA en 1994. Ce dernier ne semblait pas inquiet face aux menaces des Interahamwe puisqu’il était le chef d’orchestre selon lui. Pour Mme GORETTI, elle serait restée plus longtemps, enfermée dans la chambre de MUNYEMANA avec ses enfants jusqu’au 6 mai 1994 avant de repartir à pied. Ce que Mr KAMANZI dément puisqu’elle avait un véhicule pour repartir. Il assume que lorsque lui-même avait pris la fuite de chez M. MUNYEMANA, Marie GORETTI était partie depuis bien longtemps.
La cour a ensuite continué avec la lecture de “Aucun témoin ne doit survivre” écrit par Alison Des Forges de la page 310 à 311 avant de continuer avec la lecture de l’audition de Marie Dusabe ? Un matin, une bande de tueurs seraient venus la chercher pour la tuer. Elle affirme que la docteur MUNYEMANA avait les clés du bureau de secteur. Un jour, différentes personnes seraient venues au bureau, vêtus de feuilles de bananiers dont Sosthène MUNYEMANA et le docteur JEANNE. Le témoignage de Marie Dusabe ? appuie le fait que MUNYEMANA était chargé des lieux et refusait de leur servir de la soupe de sorgho. Elle affirme qu’à partir du génocide, MUNYEMANA aurait changé de personnalité. Elle l’aurait entendu évoquer l’organisation des rondes avec le docteur CHRISOSTOME. Lors du génocide, il aurait aussi dit “fouillez et ne laissez aucun Tutsi” tout en étant déguisé avec des feuilles de bananiers en bandoulière sur une épaule, armé d’une lance.
Ensuite, il y a eu la lecture du témoignage d’Agnès, femme d’Evariste, intervenant lors du procès du docteur CHRISOSTOME. Evariste a pris 15 ans de prison devant la juridiction Gacaca. Elle évoque le fait qu’elle connaissait Sosthène, bien qu’elle ne le fréquente pas. Elle assume que les bourgmestres ont eu rôle dans l’organisation du génocide effectué à l’encontre des Tutsi. Elle évoque aussi les mensonges de MUNYEMANA, qui expliquait à tout le monde que le FPR avait attaqué, ce qui a provoqué instantanément la discorde entre les Hutu et Tutsi du village. Jusqu’au 20 avril, les Hutu et Tutsi auraient travaillé main dans la main pour repousser les ennemis de l’extérieur, mais à partir du 20 avril, les Tutsi furent tués par leurs camarades de rondes.
Pour finir, le témoignage de Uwase Umugwaneza ? a été lu. Il confirme la mise en place d’un conseil de sécurité 7 jours après le 21 avril. Il affirme que MUNYEMANA aurait choisi des Hutu avec de bons niveaux de richesses pour s’organiser. Cela a mené à l’enfermement des Tutsi jeunes et forts dans le bureau de secteur, qui n’ont jamais été vus sortir.
Mattéo ANNE, Étudiant Bénévole




Partager